quinta-feira, 3 de abril de 2008

Soixante ans de tensions



S’il est un pays qui se trouve fréquemment à la « une » des médias, c’est incontestablement Israël. L’édification de cet Etat, aboutissement du projet national sioniste, a, en effet, eu au Proche-Orient de profondes répercussions, qui, hélas, ont pris souvent le visage de la guerre. Difficile, donc, de parler d’Israël sans évoquer l’interminable conflit avec ses voisins. Toutefois, le mérite majeur de cette nouvelle livraison de Manière de voir (1) est de ne pas réduire Israël à cette dimension, aussi centrale soit-elle, mais d’évoquer également les diverses facettes de la société.
Le numéro se déploie en trois volets. Le premier revient sur les origines de l’Etat, dont l’avènement est la résultante d’une conjonction de facteurs. D’abord, il y a le formidable volontarisme politique sans lequel le sionisme serait resté ce qu’il paraissait être au début du XXe siècle : un rêve utopique (Henry Laurens). Ensuite, la Shoah a joué, dans la légitimation ultime du projet sioniste, un rôle certain, mais plus, au sortir de la seconde guerre mondiale, pour la communauté internationale que pour les fondateurs de l’Etat eux-mêmes : ce n’est qu’à partir des années 1960 que le judéocide devait prendre, peu à peu, une place déterminante dans l’identité collective israélienne (Idith Zertal). Enfin, la naissance d’Israël s’accompagna de l’effondrement de la Palestine arabe, dont la manifestation la plus tragique fut l’exode de 750 000 Palestiniens : archives à l’appui, les « nouveaux historiens » israéliens ont montré que deux tiers des villages ont été évacués après l’assaut des troupes juives (Dominique Vidal).
La deuxième partie est consacrée à la géopolitique d’Israël au Moyen-Orient, une géopolitique placée sous le signe de confrontations à répétition. Celles-ci ont toutefois connu une mutation notable au cours des soixante années écoulées. Jusqu’en 1973, l’affrontement met aux prises Israël et les Etats arabes, que ce soit durant la campagne de Suez (Eric Rouleau) ou la guerre du Kippour (Claude Julien). Même si des contentieux territoriaux subsistent avec certains Etats (Syrie sur le Golan), les vingt-cinq dernières années auront vu se multiplier de nouveaux types d’affrontements armés. Au Liban, Israël s’en prendra à deux reprises à des organisations politico-militaires, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1982 (Samir Kassir), le Hezbollah en 2006, avec des résultats mitigés.
A Gaza et en Cisjordanie, c’est l’occupation militaire prolongée de ces territoires et la poursuite incessante de la colonisation (Amnon Kapeliouk) qui sera à l’origine de deux Intifadas, la première entre 1987 et 1993, la seconde depuis 2000. Entre ces deux moments, le processus de paix d’Oslo a laissé présager une véritable réconciliation israélo-palestinienne (Shimon Pérès), mais a mené à une « paix piégée » (Alain Gresh).
La dernière partie offre une traversée de la société israélienne, qui, depuis une quinzaine d’années, est entrée de plain-pied dans la mondialisation, loin des aspirations égalitaires des premiers pionniers (Dominique Vidal). Cette société demeure structurée par trois clivages majeurs : entre citoyens juifs et citoyens arabes (Joseph Algazy), entre laïques et religieux, entre Ashkénazes et Séfarades (Marius Schattner). Ces divisions sont indissociables du type d’Etat que les leaders sionistes ont fondé : un Etat démocratique « à l’occidentale » (dans les frontières de 1967), mais qui défend une identité ethnonationale forte, ce qui ne va pas sans tensions. A l’évidence, celles-ci ne pourront commencer à être dissipées que si le contentieux avec les Palestiniens est réglé de façon équitable : la « normalisation » diplomatique demeure la clé de la « normalisation » sociopolitique d’Israël.
Alain Dieckhoff.


Manière de voir, n° 98, « 1948-2008. Histoires d’Israël », avril-mai 2008, 7 euros, en vente dans les kiosques.

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